Irène et Thomas Cohen

J'ai eu la chance de passer une heure en compagnie d'Irène et Thomas Cohen, fondateurs de Bonton et de leur Web Angel, Alice. A la base, le sujet de l'interview était censé être "entreprendre en famille". Seul bémol, Alice n'a pas encore été adoptée. Mais Thomas m'assure qu'après 4 ans au sein de Bonton, ce n'est qu'une question de temps...

 

Quels sont vos rôles chez Bonton ?

Irène : Thomas est directeur général de Bonton, il dirige le navire et fait de sorte que nous évitions les icebergs ! Moi je m’occupe plus particulièrement de la direction des collections et des achats. Je suis un peu la gardienne de la philosophie de Bonton. Alice, au delà d’avoir été la babysitteuse de nos ainés, est aujourd'hui notre « web angel ».  Elle gère tout le web chez nous.


Comment l’histoire de Bonton est née ?

Irène : Elle est en une partie née de l’histoire de la famille de Thomas, car ses parents étaient les fondateurs de Bonpoint. Nous nous sommes rencontrés quand nous étions étudiants. Assez rapidement, Thomas s’est mis à travailler aux côtés de ses parents. Petit à petit nous sommes tous les deux rentrés dans l’intimité de cette société. La mère de Thomas gérait le bureau de style et c’était avec elle que nous avons commencé à réflechir à une deuxième marque, plus simple, pour tous les jours. On a fait des essais, la teinture, le logo etc jusqu'à ce que, un jour en 2001, un local dans la rue de Grenelle se libère et on décide de se lancer. C'est à ce moment là que nous avons commencé à travailler ensemble avec Thomas, qui a migré du côté de Bonpoint vers Bonton.

Thomas : L’idée de travailler en famille ne me faisait pas peur ; j’avais toujours vu mes parents œuvrer ensemble. Au début, on travaillait dans le giron de Bonpoint, jusqu’à la vente de ce dernier. Les repreneurs n’étaient pas intéressés par Bonton. Nous avons donc pris notre indépendance.


Les avantages d’une collaboration en famille ?

Thomas : Que les avantages ? (Rires) (Je le rassure que la question inverse est également prévue...)

Travailler avec la personne avec qui on partage sa vie est très agréable. On travaille avec quelqu'un qu’on aime. Il y a une complicité qui est évidente. On se comprend sans se parler, les choses sont beaucoup plus simples. Avec Irène, nous avons fait très attention à ne pas toucher aux mêmes domaines. Je trouve que dans les entreprises familiales, comme dans toute entreprise d’ailleurs, c’est très important d’avoir chacun son pré carré.

Irène : Forcément ça induit une manière de faire générale sur l’ensemble de la société. Il y a une certaine atmosphère, un cran en dessus de l’intimité qui fait qu’avant le rapport professionnel, il y a le rapport humain. Il faut que tout le monde rentre dans la famille.

Alice : J’ai effectivement l’impression de faire partie de cette famille. Il y a vraiment de l’affect. Et puis je suis née le même jour que Bonton ! Le 19 mai.

Thomas : Chez Bonton, il y a un truc de l’ordre du dîner de famille du dimanche !


Et les désavantages ?

Irène : Forcément il faut adhérer à une certaine philosophie et parfois, ça peut être pesant. Malheureusement dans les moments difficiles à traverser, on prend tout très personnellement. Il y a parfois des petites blessures qui sont ressenties par tout le monde. Comme dans une famille.

Thomas : Parfois avec Irène on fantasme sur une autre vie de couple ou chacun rentre de son boulot en y laissant leurs soucis professionnels... Mais bon, ce n’est pas la vie que nous avons choisie. On paie le prix de l’entrepreneuriat avec sa liberté et son téléphone branché en permanence !


Une autre collaboration familiale que vous admirez ? (J’interdis la réponse Bonpoint, jugée trop facile !)

Thomas : Moi, c’est Berthillon, le glacier qui est fermé tout le mois d’août...

Ok, ça me fait marrer mais je vais être un peu plus sérieux, corporate même. Je trouve très jolie l'histoire de ma cousine Juliette, qui a créé Swildens (Kate - mais c’est quoi cette famille de génies de la création !). Son mari bossait dans la pub et il a tout lâché pour la rejoindre. Ils commencent à percer dans l’univers du prêt-à-porter féminin, qui est autrement plus compliqué que l’univers de l’enfant.

Irène : Une entreprise que j’admire énormément est celle qui est gérée par Jean-Louis Costes. Certes elle est très parisienne, très branchée, on aime ou on n’aime pas, mais bon, ils ont tout construit. Nous, on est dans une tradition familiale, et même si on n’a pas repris une boîte familiale, on reconnaît qu’on avait le pied à l’étrier. Eux, ils ont tout démarré. C’est bien de se dire que ce n’est pas toujours une histoire de grandes familles. Il y a des gens qui démarrent aussi.


Où sera Bonton dans 10 ans ? Entre les mains de vos enfants ?

Thomas : Quant aux enfants, je leur tiendrai exactement le même discours que m’ont tenu mes parents. Bonton, c’est notre histoire, ils se construiront la leur. On essaiera de leur donner le maximum de moyens et de les aider le plus que possible, tout en leur apprenant la valeur du travail. Si par hasard ils retournent dans les mêmes travers que nous, on sera super heureux de les y amener mais s’ils décident de faire autre chose, on sera super heureux de les aider aussi.

Quant à la question où sera Bonton dans 10 ans, on est en train de préparer le terrain pour un développement international (Kate - je balance le scoop !), plus précisément au Japon, en Corée et en Chine. En Asie, il y a vraiment de l'affect pour la marque. Une fois que nous aurons emmagasiné assez de force, on ira attaquer le marché Londonien. The sky is the limit !


En quoi l’univers Bonton vous ressemble ?

Irène : J’ai un ressenti qui est un peu particulier. Oui Bonton nous ressemble parce que nous l'avons créé, mais je pense qu’il y a un vrai truc qui me ressemble : je n’ai pas du tout peur du mélange, ni dans les styles, ni dans les proportions. Chez Bonton, je pense que cela se ressent. Et je trouve aussi que c’est comme ça que nous vivons aujourd’hui. J'explique. Dans le salon vous allez avoir les jouets de vos enfants aux côtés des bougeoirs que vous avez récupérés de votre grand-mère, à côté d’une lampe que vous avez achetée chez Artemide. Et je trouve qu’il faut laisser les choses comme ça, que ça peut faire des belles surprises !

En fait, quand j'y pense, Bonton, c’est un peu comme un enfant. C’est nous qui l’avons créé mais il arrive avec son énergie propre. Il vous ressemble mais il vous fait changer aussi.

Thomas : Je n’ai rien à rajouter ! 


Qu’est-ce que le web a apporté à l’histoire de Bonton ?

Thomas : Par contre là, j’ai une idée assez précise de la chose. Je ne laisserai personne d’autre parler ! Alors, de manière très basique, le web a rajouté un canal de vente supplémentaire. Mais même si c’est pour cela qu’on l’a fait, ce n’est pas ce qui nous réjouit le plus aujourd’hui. Ce qui nous réjouit le plus, c’est que le web nous a permis d’établir un lien avec les clients qu’on ne touchait pas avant. Et tout ça, c’est grâce à Alice. Grâce à sa touche de jeunesse et de légèreté que les gens adorent, et nous aussi !

Irène : C’est vrai qu’il y a une barrière d’intimité qui tombe. Il y a une vraie qualité humaine que le net ramène et qu’on n’avait pas dans le commerce avant. On a gagné en intimité avec nos clients.

Alice : L’arrivée du blog nous a beaucoup apporté. Des jolis échanges surtout. J’ai gardé des mails et des commentaires de nos clients qui te mettent une larme à l’œil.


Un conseil pour quelqu’un qui se lance dans l’entrepreneuriat aujourd’hui ?

Thomas : Ne le faites pas en France :) (Rires, surtout de l’anglaise qui a monté une société en France...). Non, sérieusement, foncez, c’est génial. Il y a des rencontres incroyables. Après, il ne faut pas se raconter d’histoires. C’est très dur, on ne gagne pas l’argent rapidement. C’est très long. C’est la litanie de tous les gens qui sont entrepreneurs. Il y a des grands, grands moments de solitude. Vous n’avez aucune certitude. Il faut travailler, travailler, travailler. Et quand vous avez fini de travailler, il faut travailler un petit peu encore. Mais de l’autre côté, il y a une liberté incroyable. Vous êtes face à votre client avec une seule question : il aime ou il n'aime pas ?

Irène : Il faut partir ayant pris connaissance de tout : le bon et le moins bon. Sinon, ça peut être violent très rapidement. Et une autre chose ; il y a deux moitiés qui ne peuvent pas aller l’une sans l’autre. On peut être un super artiste et ne jamais arriver à faire grand-chose, comme on peut être un super gestionnaire sans jamais y arriver non plus. Il faut une certaine alchimie entre la gestion et la créativité.


Votre site préféré ?

Thomas (sans hésitation aucune) : L’équipe
Irène :
Topshop. Je peux commander en même temps pour ma fille aînée et moi dans mon canapé ! Et leur packaging à pois est un des plus jolis…
Alice : Pinterest


Votre blog préféré ?

Thomas : IFON.FR
Irène :
Celui de Sophie Cuvelier (qui a fait le logo de Bonton, ndlr)
Alice :
L’e dans l’a d’Aurélie Lecuyer. Il y a des jolies petites phrases, des photos qui se laissent regarder.


Une devise ?

Thomas : La vie est comme tu te la tricotes (Irène : mais c’est celle de ta mère ! ; Thomas : J’ai le droit de la récupérer ! Kate : C’est ça entreprendre en famille !)
Irène :
The sky is the limit. (Thomas : Tu vas pas me piquer mes phrases quand même...)
Alice :
Take it easy !


Un créateur ?

Alice : Morgane Sézalory, du site Sézane.
Irène :
Apolline, qui a un univers très poétique.
Thomas :
Hayao Miyazaki


Un souvenir d’enfance ? La première chose qui vous traverse l'esprit.

Thomas : Les mercredis soirs quand on allait jouer au tennis au Stade Français avec mes frères. On avait le droit de manger là-bas, un soir d'école en plus, c’était énorme !
Irène :
Manger une glace avant le déjeuner. C'est quelque chose que je peux faire encore. C’était le moment où je me suis rendue compte que les règles pouvaient être brisées.
Alice :
Des biscuits à la crème de lait que faisait ma grand-mère.
(Chez Bonton, je confirme, ils sont nettement gourmands...)


Vous êtes chic ou geek ?

Alice : Geekement chic (baptisée par Irène)
Irène : Chic, pas très geek
Thomas :
Evidemment geek.

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